you will dance till I tell you to stop
EZRA BROWN
Ses cheveux argentés déteignent, comme à chaque fois, sur le fond brun de la boutique. Ses cheveux argentés déteignent sur tous les fonds, sur toutes les crasses de cette ville, sur toutes les gouttes de sang, sur tous les murs noirs de tristesse et de désespoir : Venus déteint. Il a l’habitude, cela dit, il n’essaye même pas de faire autrement. Au fond, il aime ça, il aime qu’on le repère, il aime être vu - sinon, il ne se montrerait pas comme ça.
Il a ce sourire doux, habituel, il regarde un peu les noms et inspire les odeurs. C’est agréable. Il ne vient pas souvent dans cette boutique de thé - il n’a rien à y faire en réalité : il ne boit pas de thé. Et pourtant il est là. De plus en plus souvent, ces derniers temps, lui-même ne sait pas trop pourquoi - c’est comme une envie d’aventure, de découverte et d’inconnu. Venus glisse entre les étales, se fait surprendre par les goûts et les couleurs, apprécie la tranquillité du lieu. Ses doigts survolent les sachets, caresses aériennes sans réelle utilité, il s’amuse, tout simplement. Il aperçoit une boîte, un peu décalée, il la remet à sa place, sur la même ligne que les autres.
Une part de lui à envie de faire tomber toutes ces étagères pour voir l’ensemble s’effondrer, les thés se mélanger, les odeurs se perdre et la boutique se détruire. Il soupire et son sourire s’agrandit.
“Je vais prendre celui-là,” dit-il finalement en piochant dans l’étagère juste devant lui. Il en sort un paquet au hasard, ne regarde même pas l’étiquette, et revient vers le comptoir où l’attend Ezra. Il lui tend le sachet et puis glisse sa main dans la poche de sa veste. “Je trouve qu’il me correspond bien.”
Ses yeux sombres détaillent la silhouette d’Ezra, face à lui, il ne cache même pas la manière dont il le dévisage, le sourire toujours aux lèvres. C’est presque une manière de le dévorer des yeux : ses pupilles s’attardent sur tous les détails de son visage, la courbe de son nez, le rose de ses lèvres - Venus se mordille la sienne instinctivement - la blancheur de son cou qui disparaît dans le col de son pull. Venus regrette de ne pas pouvoir en voir plus, il aimerait bien lui retirer ce pull, et tout le reste aussi, arracher ce tablier ridicule aux couleurs de la boutique, aussi sale que le reste, qui ne sied pas à Ezra et à sa silhouette longiligne.
Mais Venus se retient. Il attend patiemment que Ezra lui dise combien il lui doit. Il se contente de le fixer, intensément. Son heure viendra et il le sait.