Meeting between two bros ft. Ezra Brown

parfois, ezra aime bien traîner un peu après ses heures, rester dans le quartier pour regarder les boutiques, écouter les conversations banales des gens qui n’ont pas de problèmes et juste prétendre pendant une heure ou deux qu’il vit ici aussi. les souterrains sont oppressants, étouffants. il évite d’y passer plus de temps que nécessaire. ça lui a prit quelques années pour mémoriser le réseau de galeries, mais maintenant il va et vient à sa guise. il garde des vêtements un peu plus propre et moins déchirés dans son sac qu’il enfile dès qu’il arrive aux abords de l’octant, pour passer plus facilement dans la foule sans qu’on devine qu’il est un sans-abri directement. il sourit, il est discret et poli. c’est comme ça qu’il a obtenu son travail, finalement — puis monsieur chen, le vieil homme avec d’obscures origines asiatiques est un ancien des cdc aussi. il l’a prit en affection, même s’il compte toujours la caisse à la fin de la journée pour vérifier que ezra n’a pas craqué et piqué de la monnaie. ezra y a pensé, une fois. il ne l’a jamais fait cependant.

aujourd’hui ezra a un peu d’argent au fond de sa poche et il a fermé la boutique plus tôt, parce que monsieur chen voulait faire ses comptes. alors ezra traîne un peu. s’arrête devant des devantures en imaginant ce qu’il pourrait acheter. son regard est attiré par un café, un truc à la chaîne, pas comme la boutique de thés. ezra n’a pas l’habitude de faire des dépenses futiles. mais il ne peut pas s'empêcher de sentir sa gorge se serrer d’envie devant les frappuccinos. alors il craque, et il pousse les portes.

il attends de passer commande, son regard balayant les clients par habitude. il fronce les sourcils devant une silhouette attablée, penchée sur un carnet et absorbée par ses écouteurs. quelque chose lui semblait familier dans les traits du visage, sans pouvoir dire quoi exactement. la serveuse l’appela et il se détourna. son regard revint vers la personne cependant tandis qu’il attendait sa commande, les sourcils froncés. il l’imagina avec une couleur de cheveux différente. et peut-être quelques centimètres en moins (ezra attrape son thé frappé sans regarder, portant la paille à sa bouche sans cesser de fixer l’autre personne). peut-être des vêtements plus modestes aussi.

ezra ne réalise pas tout de suite que l’autre le regarde aussi maintenant, ayant sans doute senti son insistant regard sur lui depuis cinq ou dix bonnes minutes. ezra cligne des yeux lève une main un peu hésitante pour l’agiter vers lui. yo ? euh —  il hésite. se sent con. mais s’il change les cheveux, adoucit peut-être un peu les traits, les fais plus juvéniles, enlève quoi, quatre ou cinq centimètres peut-être et s’il l’imagine avec ce vieux sweat débile avec un cacuts alors — ga...gaspar ? c’était ridicule.
(non ?)
(et le type-potentiellement-gaspar a encore ses écouteurs de toutes manières)

oh fuck.
c’est vraiment lui, réalise ezra avec une sorte d’abasourdissement silencieux, la paille toujours dans sa bouche à moitiée ouverte et dieu qu’il doit avoir l’air con. mais ezra s’en fiche un peu parce que c’est gaspar.
gaspard, putain.

ezra n’a oublié aucun de ses adelphes de l’orphelinat. certains sont dans les cdc, avec lui. les plus jeunes surtout, traînent encore. ceux de son âge ont disparu — recruté chez les agences pour les plus chanceux, engagés dans la rébellion ou pire encore pour d’autres. certains, comme azur, ne sont nul part. gaspar, c’est la première solution. il a eu de la chance. il a toujours été doué de toutes manières. toujours à faire des petits pas de danse dans le self en attendant son tour, toujours à tapoter la table en rythme en fredonnant pour lui-même. ezra s’en souvient encore bien et gaspar ah — gaspar n’a pas l’air d’avoir beaucoup changé au fond. son sourire est le même en tout cas, alors qu’il se lève brusquement et lui accorde toute son attention désormais.

ezra sent ses lèvres gercées s’étirer et une petite bulle de bonheur éclater dans sa poitrine. gaspar ! il répète, plus affirmatif, plus confiant désormais car oui c’est bien lui et c’est assez fou. il fait un pas en avant, conscient que quelques curieux commencent à leur accorder un coup d’oeil un peu curieux. oh merde ! oui, c'est moi et c’est dingue c'est — c’est vraiment toi aussi, who ça fait tellement longtemps je — il a une fraction d’hésitation devant lui, ne sait pas s’il doit le prendre dans ses bras (il tient toujours son frappé et il ne sait pas quoi en faire parce qu’il l’a payé quand même), une sorte de timidité nouvelle le retenant alors que l’envie de toucher gaspar le démange, le besoin de vérifier qu’il n’est pas en train d’halluciner parce qu'il n'aurait jamais cru revoir son frère comme ça, aussi simplement.

ezra rigole un peu, parce que oui il s’en souvient il était une brindille à l’orphelinat, une petite chose à la tignasse en broussaille et aux membres mal coordonnés. il avait fait une poussée de croissance de dernière minute presque — azur s’était amusé à le mesurer tous les jours contre un pilier du squat où ils se trouvaient à l’époque, affirmant que le résultat n’était jamais le même. c’est bizarre de faire la même taille que gaspar. toi t’as pas changé. enfin, à part les cheveux. et t’as plus tes joues de bébé ! ajoute-t-il en regardant le visage affiné de gaspar et sa peau douce et presque brillante.

sa gorge se serre un peu. il ne sait pas trop comment lui dire tout ce qui s’est passé. ezra n’a pas honte de ce qu’il fait, d’où il vit. il ne fait rien de mal, au contraire. il essaie de s’en sortir, vraiment fort. mais face à gaspar, il ne sait pas comment lui dire — et pour azur, oh dieu est-ce que gaspar se souvient de lui aussi, est-ce qu’il va lui demander ?

ezra n’a pas trop le temps de chercher sa réponse car il se retrouve soudain dans les bras de gaspar et il a l’impression d’avoir huit ans à nouveau, quand il pleurnichait à cause d’un cauchemar parce qu’il avait encore du mal à se faire à l’orphelinat. gaspar était le plus vieux (de deux ans seulement, mais entre huit et dix ans il y a un gouffre) et il était celui qui le consolait et lui disait que tout irait bien.

ezra réagit finalement, lève les bras pour lui rendre son étreinte, s’agrippant un peu à l’autre. il espère vraiment qu’il ne va pas pleurer parce qu’il n’a plus huit ans et ce serait un peu gênant.c’est bon de te revoir, frangin. le mot est naturel, il l’a toujours été. ils étaient tous des adelphes là-bas, ils étaient les abandonnés qui s’étaient trouvés et serrés les coudes.

le café est mortellement silencieux et ezra est soudain très conscient que tout le monde les regarde. il cligne des yeux, un peu embarassé d’être le centre d’attention — chose qu’il déteste et évite cordialement d’ordinaire. hm on devrait peut-être — s’asseoir ou aller ailleurs ? enfin si t’as le temps, je pense qu’on a pas mal de trucs à se raconter oui, ahah. j’ai — enfin désolé d’avoir disparu comme ça je pensais pas que tu reviendras en plus et il se détache finalement de gaspar, se frotte un peu la nuque enfin, beaucoup de choses se sont passées oui. et pour toi aussi j’ai l’impression.

il y a un sourire soulagé en voyant que gaspar comprends et ezra hoche la tête, serre un peu plus ses doigts autour de sa tasse pour raffermir sa prise dessus et lui emboîte le pas, soulagé de quitter l’attention des autres clients — qui, effectivement, commencent à davantage regarder gaspar, certains sortant même leurs téléphones, le reconnaissant probablement. ezra n’est pas assez au fait des événements du monde de la musique pour vraiment savoir à quel point il est connu, surtout qu’il n’a jamais entendu son nom prononcé à la radio, mais il sait que beaucoup d’idols ont un nom de scène qui finit par prendre le pas totalement sur leur première identité. ezra se promet de lui demander après.

il étouffe un rire. j’imagine que ça t’arrive souvent, ouais. être le centre de l’attention, je veux dire. pas retrouver des gamins de l’orphelinat un peu partout. ils marchent un peu, tranquillement. et évidemment, le sujet finit par tomber. celui qu’ezra commençait à redouter et se demandait comment le gérer. il est tenté de répondre au hasard, vaguement, de mentir même. il écarte rapidement cette option cependant. ce n’est pas un étranger ou même une simple connaissance, gaspar a fait parti de sa vie pendant de longues années, ils ont grandit ensemble. il lui doit au moins la vérité.

azur est — il s’humecte les lèvres, cherche ses mots. ça fait plusieurs années déjà, mais c’est toujours un peu douloureux. azur a disparu. il — il voulait faire comme toi, devenir une idol gagner sa vie en chantant, mais ça n’a pas très bien marché. alors il a commencé à vouloir changer les choses de manière plus radicale et au final, il n’est jamais revenu. c’est confus, il s’en rend compte. il sirote son frappuccino, repoussant les souvenirs douloureux. honnêtement je sais pas quoi te dire. il disait qu’il allait tout arranger et puis d’un seul coup il avait juste disparu, personne ne pouvait me répondre. je suis même allé chez les flics.. un mouvement désespéré sachant que azur avait un casier, mais à l’époque ça semblait une meilleure option que “porté disparu”.

ezra secoue la tête, change de sujet et force un sourire un peu tremblant. et toi ? c’était un peu la folie quand tu es parti pour devenir euh trainee c’est ça ? tu étais devenu un genre de dieu, t’étais “celui qui a réussi à s’en sortir”. ça marche comment pour toi ? ils l’avaient tous envié, évidemment. c’était le petit héro de l’orphelinat. mais avec ce qu’avait entendu plus tard en grandissant ezra sur les conditions de vie des idoles, il n’avait plus été si certain de cela. mais gaspar n’avait pas échoué à la rue, c’était déjà une bonne chose.

il est difficile de ne pas sourir aux souvenirs d’un gaspar plus jeune, qui clamait à qui voulait l’entendre qu’il allait réussir et devenir une idol et qu’il sera le meilleur, gaspar qui animait leurs soirées entre orphelins avec ses chorégraphies. ezra était heureux pour lui; sincèrement. gaspar méritait toute la réussite du monde. bien sûr il se doutait que la vie dans cette espèce de cage dorée n’était sans doute pas aussi parfaite qu’ils se l’imaginaient étant enfants, mais on doit tous grandir un jour et ezra préférait savoir son frère là-bas qu’en bas, dans les ruelles sombres, comme lui.

il sourit et applaudit les pas de danse, l’enthousiasme de gaspar se propageant dans son corps et son coeur. honey, vraiment ? je guettais les apparitions d’un membre nommé cactus ! le taquine ezra, se souvenant bien de l’étrange fascination de gaspar pour les plantes du désert attends non me dis rien, tu as tenté et c’est la direction qui t’as dis “non” honey cependant, correspond plutôt bien à son frangin — il a toujours été un sucre, peut-être trop gentil parfois pour son bien.

je ne suis pas vraiment les trucs de a-pop, mais maintenant que je connais ton groupe, je vais pouvoir devenir ton fan numéro 1 officiel! pas que je ne l’étais pas déjà, bien sûr ahah ezra finit sa boisson en aspirant un peu bruyamment à la paille pour récupérer les dernières gouttes. je suis content en tout cas. que t’ai réussi. il se frotte un peu les avants-bras, un peu gêné d’être vulnérable ainsi dans ses paroles et ses sentiments, même si c’est gaspar. il y a quelque chose de surréaliste à être là avec lui et ezra a peut-être un peu peur qu’ils se séparent et s’oublient de nouveau. alors il se lève et se dirige vers les balançoires du parc, ignorant royalement le “réservé aux enfants” — il a fait pire dans le non respect des règles. il se balance un peu et son sourire est presque malicieux quand il se retourne vers gaspar. tu te souviens de la balançoire de l’orphelinat ? elle grinçait si fort qu’on n’entendait que d’un bout à l’autre de la cour. et cette fois ou je t’ai demandé de me pousser le plus fort possible pour que je fasse un tour complet et j’ai pedu deux dents de lait en tombant ? ezra rit un peu se balance doucement. il se demande si gaspar à une balançoire dans son dortoir à l’agence. probablement pas. il devrait.