C’est ce qu’il sait faire de mieux — attendre.
Il a attendu maman quand elle est partie, le laissant seul à la table du café. « J’en ai pour cinq minutes, dix peut-être. Tu es sage, tu ne bouges pas je reviens. » Ezra était un gentil petit garçon alors il a hoché la tête et il a attendu. Il a regardé les clients entrer et sortir, il a remercié d’une petite voix timide le monsieur du bar qui lui a donné une menthe à l’eau avec un regard doux mais un peu inquiet — ça picotait contre sa langue c’était bon. Il a attendu jusqu’à ce que les lumières s’allument, que le monsieur lui dise qu’il allait appeler pour qu’on vienne le chercher. Il a attendu les policiers en mangeant un sandwich au poulet que le monsieur lui a fait — vraiment, il était très gentil, Ezra trouve dommage qu’il ne l’a jamais revu ni se souvienne de son nom.
Maman n’est jamais revenue alors on a dit à Ezra de venir et on l’a mis à l’orphelinat et on lui a dit d’attendre et que s’il est gentil et qu’il sourit beaucoup, il aura de la chance et on viendra le chercher pour lui donner une famille.
Ezra a attendu alors et il a fait exactement comme on lui a dit, mais visiblement ça n’a pas suffi. Personne n’a jamais adopté Ezra — six ans, c’est déjà trop vieux. Ou alors c’était à cause de son asthme. Personne n’a envie d’un gamin qui respire mal et qui ne peut pas courir longtemps. Et puis, Ezra n’a pas un joli profil avec des traits typés asiatiques, il est trop banal trop passe-partout. Il ne pourra jamais être un visu de l’industrie de la a-pop ou devenir acteur. Ezra ne s’en est pas trop plaints, parce qu’à l’orphelinat, il y avait Azur.
Azur ne lui a jamais dit d’attendre — Azur l’attrapait par la main pour qu’il vienne avec lui.
Ezra n’a pas attendu pour tomber amoureux d’Azur. Mais à dix ans, on ne sait pas vraiment ce que c’est que l’amour — pas alors qu’on sait déjà qu’un parent peut laisser son enfant derrière lui sans se retourner. Ezra n’a pas trop cherché à comprendre, il est juste content d’être avec Azur et ils se sont promis d’être toujours ensemble.
C’est pour ça qu’Azur lui a demandé de fuir avec lui. « On peut pas rester dans ce trou y a rien pour nous ! Viens avec moi, tu verras je te protégerais et puis quand je serai devenue une idol avec plein de sous je pourrais t’offrir tout ce que tu veux, même tous les carnets de croquis du monde et ces feutres à dessin que tu voulais. Alors viens avec moi, d’accord ? »
Ezra a dit oui et il a entremêlé ses doigts à ceux d’Azur et ils sont partis.
Il se fichait de ne pas avoir d’argent, de dormir dans des squats humides et sales et d’avoir un peu froid — il s’en fichait tant qu’il avait Azur. Azur lui donnait sa veste, dormait contre lui et lui ramenait toujours de quoi manger. Azur réussissait tout ce qu’il entreprenait.
Ça n’a pas suffi à faire de lui une idol, pourtant. Ezra s’en fichait, disait que ce n’était pas grave, qu’ils ne resteront pas longtemps dans les souterrains. Il griffonnait sur des papiers d’emballage à défaut d’avoir un carnet. Mais il s’en fichait. Il avait Azur, ça suffisait.
Pas à Azur, apparemment. Azur était en colère, il voulait lui offrir toutes les promesses du monde, il voulait détruire cet endroit et sa misère. Azur a fait des choix, il a dit qu’il le faisait pour lui, pour eux, pour tous ceux qui n’avaient personne et se retrouvaient à la même place qu’eux, en bas de l’échelle.
Un jour il a dit « attends-moi, je reviens. Si ce coup marche, on pourra sortir de cet endroit je te le promets ». Azur l’a embrassé.
(C’était son premier baiser — pas celui d’Azur, lui il avait embrassé plein de filles (et peut-être quelques garçons aussi), mais quand il avait un jour proposé à Ezra de venir voir des filles avec lui, Ezra avait dit qu’il ne les aimait pas, que ça ne l’intéressait pas. Il a eu peur qu’Azur soit dégouté, mais Azur avait juste dit « ok tant mieux comme ça j’te garde pour moi » en rigolant et Ezra était tombé un peu plus amoureux mais il n’avait rien dit.)
C’était son premier baiser et aussi son dernier, parce qu’Azur n’est jamais revenu. Ezra a attendu, des heures des jours des semaines — il s’est gravé la date dans le creux du poignet pour ne jamais l’oublier. Il a cherché partout, à la surface et dans les bas-fonds. Personne ne pouvait lui répondre, personne pour lui dire si Azur était mort ou vivant. Ezra attend encore, même s’il ne le dit pas. Erza se doute qu’il ne reverra jamais Azur. Qu’il a juste un tatouage pour tout souvenir, un sweat oublié qu’il porte constamment et quelques photos bêtes dans son téléphone.
Aujourd’hui Ezra sait qu’il ne peut pas juste attendre éternellement après les gens qui le laissent derrière. Il n’a pas attendu pour trouver du travail, pour convaincre le propriétaire un peu louche du salon de tatouage des cdc de le prendre comme apprenti. Ezra n’attend plus parce que maintenant, c’est lui que d’autres attendent le soir. Il y a Maki et les autres, des gamins qui étaient comme Azur et lui, qui font de leur mieux mais qui ont besoin de quelqu’un pour les aider. Ezra n’est personne, mais il peut bien partager son argent et sa nourriture pour les aider, les protéger, comme Azur le faisait avec lui.
Ezra n’attends plus qu’on le sorte de sa misère, il sait qu’il doit le faire lui-même.