in my feelings (PNJ)

il avait fait le mur, simplement parce qu'il pouvait. ç'avait été bien plus simple qu'il l'eut crû, en fait. il avait dit à sani j'me barre, j'reviens, et puis il était sorti des dortoirs comme si de rien n'était. c'était. étrange. parce que d'ordinaire, il était surveillé, suivi à la trace et là ? bonne question, y avait personne. il aurait très bien pu partir pour toujours, on l'aurait même pas retenu. c'était curieux. il était habitué à ce qu'on le suive quand il allait pisser à quatre heures du matin, alors qu'on ne le suive pas quand il partait, sac à dos sur l'épaule, à vingt-trois heures à peine... surprenant, disons.

il était sorti et c'était dit que ce soir, il ne se refusait rien. il avait dépensé quelques dollars sur un paquet de cigarettes, juste parce qu'il le pouvait. c'était grisant, comme sensation - tellement grisant qu'il en avait la chair de poule. il avait le coeur battant alors qu'il parcourait les cdc, prêt à se battre si on le regardait de travers. il avait le sang qui bouillonnait, sous les lunettes de soleil, la casquette et le masque de tissu sombre. son plan, c'était de retourner dans les souterrains (après tout ce bordel pour en sortir, voilà qu'il essayait d'y retourner ? blague), au moins pour revoir... non, sa mère allait hurler. peut-être pour aller voir la mère de sani, tiens. madame duan le considérait comme son propre fils, elle serait forcément contente de le voir, tiens.

il avait un peu des vagues à l'âme, sikin. disons qu'il était paumé, émotionnellement. et après réflexion, pas seulement au niveau émotionnel. il était... vraiment paumé. sérieusement. il avait l'impression d'être passé ici six fois, au moins ? il allait pas devoir demander son chemin à quelqu'un, si ?

Putain ? J'suis où ?

Quoi sérieux. Il fronce les sourcils, le poil hérissé sur ses bras. Ouais il flippe, et alors ? De toutes façons, c'est marqué nulle part qu'il est censé être courageux et téméraire, alors il se permet d'être une poule mouillée dès qu'il en a l'occasion, merci bien. Il observe le gars, ça a l'air d'être quelqu'un qui traîne la nuit. Quelqu'un qui a des projets, si vous saisissez les subtilités que Sikin faisait pour ne pas prononcer le mot rebelle. On lui avait toujours interdit de prononcer ce mot-là en particulier quand il était petit, parce que quand tu habitais dans les souterrains des CDC, un seul mot, une seule phrase pouvait suffire à te faire coffrer.

Ah bon ?

L'idiot du village, vraiment. Mais en même temps, comment est-ce qu'il est censé le savoir ? Ça fait des semaines qu'il est pas sorti de l'octant, ni même de l'agence en fait. Il grimace, son instinct le rattrapant vite alors qu'il se serre contre le mur, se faisant tout petit. Ça craint.

Putain. Cimer.

Il adresse un sourire nerveux mais franchement reconnaissant à l'inconnu, parce que sinon il se serait fait embarqué en un rien de temps. Avant d'être probablement ramené à son agence par la peau du cou. Et là il aurait souffert. M'enfin, il est pas encore à l'arrière d'une voiture de flics, alors pas besoin d'y penser.

Ils se sont foutus sur un périmètre en particulier ou c'est juste qu'ils arrêtent tout le monde pour le fun ?

Il grogne, entendant sans vraiment les écouter les sirènes de police qui vont et viennent autour d'eux, sillonnant le quartier. Ils sont à peine discrets, d'ailleurs, tous les deux. Ils baissent les yeux sur l'autre gars, le détaillant autant qu'il le pouvait malgré le masque et l'obscurité. Ils ont l'air d'avoir le même âge sensiblement, et il a l'air du coin. Tant mieux, dans un sens, il pourra p'têt l'aider à retrouver son chemin et à se barrer d'ici sans se faire chopper. Mais d'un côté, il pue la rébellion, et ça pourrait lui porter préjudice de traîner avec un mec pareil. Mais pas grave. C'est mieux que de se retrouver tout seul, il suppose.

Ça fait chier.

Il pince les lèvres, avant de se redresser à moitié, figé dans une position assez inconfortable finalement. Mais quand t'as sa carrure, c'est difficile d'être discret et de passer inaperçu. Il se passe la main dans les cheveux, mal à l'aise.

Bon. Moi faut que je retrouve le chemin pour l'Octant. C'est quoi le chemin le plus court ?

C'est vraiment pas de pot de ne jamais avoir parcouru les cdc quand il était petit. Sinon il s'en serait mieux sorti que maintenant. Mais même les cdc, ça semblait être le paradis par rapport aux souterrains, et il n'avait jamais le droit de remonter.

C'est encore tout nouveau pour lui de se dire que les gens peuvent le connaître. En général, on connaît Aksel, ou bien on connaît Sani, les deux grands héros, les deux magnifiques. Ou même, on connaît Nuni et ses grands sourires solaires ou on connaît Jewel, charismatique et puissant Jewel. Mais on ne connaît pas Sikinti - le gamin boutonneux et maigrichon qui se traîne derrière toutes ces figures glorieuses.

Il fait une moue, d'ores et déjà blasé à l'idée de retourner à la Space. En plus il mourrait de faim, et il n'était pas du tout arrivé là où il voulait. Il soupire doucement et sourit à l'inconnu. Il faisait de son mieux pour avoir l'air, genre. Cool et détendu, comme on lui avait dit d'être. Parce qu'on savait jamais, hein.

Ouais, si ça te dérange pas.

Il se sent con, là. Parce que le mec est trop gentil, et peut-être bien qu'ils se connaissaient ? Qui sait. C'est pas si grand, la partie CDC des souterrains. Peut-être qu'ils se sont déjà croisés, c'est pas impossible. Bah, de toutes façons, à la seconde où ils atteindraient l'Octant, ils se reverraient plus.

Tu t'appelles comment ? Moi c'est Sikin.

Mai, c'est sympa, il aime bien. Bon, ce prénom ne lui dit rien, par contre. C'est dommage, il aurait bien aimé se souvenir d'un coup qu'il connaissait ce gars (après tout y avait plein de gonzes qu'il fréquentait quand il était plus jeune et qu'il avait perdu de vue) (à moins d'entendre leurs prénoms il ne les reconnaîtrait jamais, pareil pour eux, il supposait). Mais non, Mai, il en a jamais entendu parler.

Ok, t'inquiète, il chuchote, encore avec un grand sourire. Un grand sourire idiot, un peu signé Sikin. On va s'en sortir.

Au pire, il se ferait passer pour son frère et... non, attendez, il n'avait plus besoin de se faire passer pour son frère, si ? Maintenant il avait une page Polapédia, lui aussi. Ouais. Il pourrait bien faire passer Mai pour quelqu'un qu'il connaissait... Ouais, mauvais plan mais bon. Ça restait un plan.

On fait comment pour se barrer d'ici ?

Il hoche la tête en écoutant les instructions de Mai. Ca, il aurait pu le faire dans les souterrains, mais à l'Octant, c'est bien plus compliqué. Pareil pour les CDC, après tout il ne passait à la surface qu'une ou deux fois par an.

Ok, let's go.

Gros bail de Dora l'Exploratrice en action. Il se redresse doucement, encore à moitié accroupi, et se faufile dans la rue que Mai a indiqué. Une fois plus en sécurité, il tourne la tête, histoire de voir si le jeune homme l'a bien suivi. Ils se débrouillent bien, c'est déjà ça. Il n'imagine même pas le pincement au coeur s'il s'était retourné et que Mai n'avait pas été à ses côtés. Bon. Heureusement pour lui, il a une bonne mémoire. Ils marchent encore un moment, profitant de la nuit noire pour rester discrets.

On y est ?