précieuse petite sirène
princesse sans royaume, perdue, loin des siens
tu plies sous le poids de croyances que l'on t'a imposées
et qui font désormais partie de toi à jamais
comme un petit tas d'argile fraîche, on t'a modelée
à l'image d'une femme forte et courageuse
(mais tu es encore une enfant
p r i s o n n i è r e
à chaque cage qui cède, une nouvelle se dresse)
parfois tu imagines qu'il te pousse des ailes pour t'envoler
Il t'en fait cadeau
tu sais qu'Il t'aime inconditionnellement
c'est une évidence, comme l'eau qui coule et le feu qui brûle
et tu as conscience qu'il ne faut pas se contenter d'attendre
les miracles ne tombent pas du ciel
(il n'y a pas de ciel dans les souterrains)
pourtant tu ne peux t'empêcher de rêver
il n'y a rien de mal à ça
du moment que ça aide à garder espoir.
sait à peine lire, écrire et compter
elle n’avait pas non plus de nom, parce qu’il n’y avait personne pour lui en donner ;
mais elle n’était pas malheureuse
(elle n’avait pas le droit d’être malheureuse, parce que tout le monde comptait sur elle)
cette petite fille n’avait peut-être pas de nom, mais ce n’était pas n’importe qui
elle avait une mission
là où elle vivait, il faisait très sombre, et on manquait de tout
on manquait de place
on manquait de nourriture
on manquait de vêtements
mais la petite fille ne manquait jamais de rien
(sauf peut-être de liberté, seulement, elle ne le savait pas, car elle n’y avait jamais goûté)
la mission de la petite fille était simple
un jour, il lui enverrait un signe de tout là-haut
ce jour-là, la petite fille
(qui serait devenue une grande femme)
devrait guider les autres jusqu’à la surface
là-haut, il y aurait tout ce dont elle avait toujours rêvé ;
tout ce qu’elle voyait dans les livres d’images, et tout ce qu’elle ne pouvait même pas imaginer
là-haut, personne ne manquerait de rien
tout le monde serait heureux
la petite fille attendait ce jour avec impatience
la petite fille grandit
elle découvrit qu’elle avait une belle voix, une très belle voix
quand elle chantait, tout le monde se taisait pour l’écouter
on lui expliqua que c’était sans doute un don de dieu, pour l’aider à mieux guider les siens
la petite fille le remercia beaucoup pour ce don, car il la rendait très heureuse
elle aimait chanter
les gens se mirent à l’appeler la sirène, la petite sirène, comme celle du conte
(elle ne savait pas lire, mais quelqu’un lui avait raconté l’histoire, et elle l’avait beaucoup aimée
elle n’avait jamais revu cette personne, et on lui avait dit qu’elle était partie
la petite fille n’avait compris pourquoi
elle n’avait pas osé poser la question)
la sirène, ce n’était pas exactement un nom mais c’était mieux que rien, se dit la petite fille
et la petite fille prit une décision
si un jour on lui demandait comment elle s’appelait, elle répondrait :
sirène
mais personne ne lui demanda
alors elle continua d’attendre
le jour que la petite fille attendait ne vint jamais
à la place, il y eut le jour du feu
elle ne sait plus si ce sont les cris, la fumée ou l'odeur qui la réveillèrent en premier
(peut-être les trois à la fois)
en tout cas, quand elle ouvrit les yeux tout brûlait
la petite fille ne pouvait pas mourir
elle était trop importante
on vint la chercher, et on voulut l’emmener ailleurs, loin de l’incendie qui ravageait tout
mais la petite fille ne voulait pas s’enfuir
elle ne voulait pas abandonner tous les autres
c’était à elle de les protéger,
c’était à elle de les guider,
de les sauver.
elle ne se souvient pas de tout le reste
elle se perdit quelque part dans le chaos
entre les flammes et tous ces gens qui hurlaient à la mort
et puis ce fut le silence et la solitude
et ses pieds couverts de sang et de cendre à force de courir dans les souterrains
en dehors de cela, elle était, miraculeusement, indemne
quand il la trouva
il lui demanda comment elle s’appelait, et elle dit :
sirène
c’était la première fois qu’elle disait son nom à quelqu’un
c’était aussi la première fois qu’elle voyait quelqu’un qui n’était pas de chez elle
cela la surprit beaucoup
ce quelqu’un s’appelait cyan et c’était un homme de dieu
(sirène ne savait pas à quel point elle était chanceuse
d’être tombée sur lui et pas sur quelqu’un d’autre)
cyan vivait dans une église
et comme elle n’avait nulle part où aller, il lui offrit d’y rester elle aussi
et elle dit oui, bien sûr.
c’était il y a deux ans, maintenant
sirène est restée à l’église souterraine
elle a beaucoup appris sur le monde
(qui est si grand !
plus grand que tout ce qu’on a bien pu lui dire)
mais il y a encore tant de choses qu’elle ne sait pas
par exemple la couleur du ciel à la surface
pour l’instant, elle n’y est jamais allée
(il paraît que c’est trop dangereux
car si la police la trouve, elle aura des ennuis
elle n’a pas bien compris pourquoi)
ce n’est pas grave, elle dit, ça ira
jusqu’ici, il a guidé ses pas
et elle sait qu'il continuera de le faire
alors elle attend
(encore)
et en attendant, elle chante pour tous ceux qui trouvent refuge dans l’église
sa voix est bien la seule chose qu’elle a à offrir.