Ses yeux se baissent sur le couteau qu'il tient dans sa main encore marquée du dernier entraînement. Chaque exercice qu'on lui fait faire est rude, particulièrement éprouvant (Surtout pour un enfant qui devrait se concentrer pour apprendre à lire, ou bien à compter, à cet âge-là. Mais tout ça, Ananké le maîtrise déjà, et ici, on leur apprend à tuer.). Tuer, détrôner Auriga. Abattre l'ennemi, coûte que coûte, il faut donner sa vie pour cette tâche. Du haut de ses quatre ans, le concept de vie et de mort est une idée qu'il a déjà bien en place dans son esprit. Mais Ananké n'a pas peur de mourir (On leur apprend très tôt à ne pas avoir peur de la mort.).
Le bras de Xion se tord et il hurle. Son corps se met à gigoter sous celui d'Ananké, qui maintient tant bien que mal le couteau aurigain serré contre son cou. Une goutte de sang s'écrase sur le sol froid, puis deux, puis trois. On les sépare finalement (une main ferme attrape Ananké par le col de son habit et le soulève sans difficulté, le poussant à lâcher son coéquipier.). Xion se redresse en massant son bras, le regard mauvais. Ils ont toujours été en compétition. Ils ne s’aiment pas. pire, même, ils se détestent. Et ils sont des dizaines dans ce cas, à être rivaux, mis deux par deux, entraînés par un adulte qui devra tout leur apprendre : tout pour réussir leurs missions. Des machines de guerre au visage poupon, de quoi pouvoir anéantir Auriga. Mais ils sont si petits… cueillis dès l’enfance, des orphelins récupérés, des bébés subtilisés. Il y a de tout ici, dans la candeur des échanges entre les pensionnaires du domaine. Il y a de tout, et il y a surtout Xion et Ananké.
C’était couru d’avance, mais les voilà jetés par terre, chaos sur leur passage, alors que les poings de l’un s’acharnent sur le visage de l’autre et vice-versa. C’est leur entraîneur qui les sépare in extremis (Un jeune homme dans la fleur de l’âge, qui ne comprend pas encore trop ce qu’il est censé faire ici) (C’est un tout nouvel adulte qui réalise à peine que ce sont ces petits bouts d’humains qu’il est censé entraîner et envoyer à la mort). Il a les traits encore candides, ouverts et lumineux, et surtout ; il ne se doute pas du changement qui va s’opérer une fois qu’il s’habituera au métier.
Le domaine brûle. Certains sont pris dans les flammes et périront dans le lieu qui les a vu naître, mais non, pas Anan. Il vaut mieux que ça. Il a la main de Xion dans la sienne, ils s'enfuient sans se retourner. C'est une tragédie, qui se déroule loin des yeux de tous. Ils fuient dans la montagne, disparaissant dans la neige. Derrière eux, des cris, du sang. Des flammes. Ils ne reverront pas le Domaine des Astrales, ils ne le reverront jamais.
???, Auriga
Leurs regards se rencontrent alors qu'une lame s'enfonce dans la poitrine du prince héritier Aurigain. Ananké cille, l'espace d'une minuscule seconde, mais il est entraîné. C'est le but de toute une vie, d'assassiner la famille royale d'Auriga. Un but qu'il effleure du bout des doigts, en cet instant. Alors c'est lui qui sauvera Astéria ? C'est lui qui aura accompli la mission qui aura causé le sacrifice de centaines d'enfants, entraînés au sein du Domaine.
Du bruit dans le couloir (forcément, il n'allait pas pouvoir l'assassiner sans être remarqué.). Il panique, et se décide à en finir. Alors, il lui tranche la tête. Un mouvement chirurgical, d'une précision inhumaine. Le sol se teinte de rouge, alors qu'il se relève et fuit (sans un bruit, aussi rapidement qu'il est venu.)
Le soir même, on annoncera officiellement la mort du prince aurigain. On dira qu'il est mort d'un arrêt cardiaque (comme si c'était logique, un jeune homme d'une trentaine d'années, en parfaite santé, qui meurt d'un arrêt cardiaque, comme ça, subitement. Tout le monde sait la vérité mais il serait trop dangereux d'accuser Astéria.) Il n'y a personne pour le féliciter, personne pour lui parler, seulement le regard de sa victime qui le hante, ce soir-là.
Xion lui sourit et son visage se tord en une moue presque boudeuse, un peu ennuyée. Leurs mains sont liées, leurs doigts s'entremêlent.
L'aiguille se plante dans sa peau, il soupire. Il faut bien ça pour rester en vie. Son corps, modifié depuis l'enfance, s'affaiblit de jour en jour. C'est douloureux, ça fait peur. Il se fait une raison, décidé à compléter la pile de cadavres qu'il a amassé jusque là ; c'est comme si toutes ses victimes l'entraînaient en Enfer, à leur tour. Mais, contre toute attente, il survit. Bravant les affres du temps et repoussant son sort encore et toujours, il survit.
Ses mains se perdent dans ses longs cheveux de jais et leurs peaux sont chaudes l'une contre l'autre. Ils sont en sécurité, quand ils sont tous les deux. Rien ni personne ne pourrait leur faire du mal.
Il a pleuré, incontrôlable, quand il a appris qu'Abigail allait les rejoindre. C'était étrange, de voir son ventre s'arrondir, de pouvoir presque s'imaginer une vie paisible, avec un enfant. Ils étaient des tueurs, lui comme Xion. Ce n'était pas raisonnable.
Mais le désir d'une vie normale le taraudait et le poussait à faire des choix inexplicables.